Le coq du village. Merci Françoise pour l'envoi de ce texte.

Regardez-le se pavaner, un vrai paon qui fait la roue ! Tout juste arrivé dans le patelin, il se promène en seigneur, lorgne toutes les filles comme s’il allait les plumer.

L’œil vif et aguicheur, cheveux crantés et bottes pointues comme un rocker, chemise à jabot romantique pour plaire aux dames, c’est lui le coq du village !

Il croit que nous sommes toutes prêtes à nous accrocher à son bras dés qu’il claquera dans les doigts … ou nous sifflera, pourquoi pas ?

Il pense peut-être que nous attendons son signal pour nous battre - becs fardés, ongles vernis et acérés - pour devenir l’heureuse élue.

Moi-même, derrière mon rideau, quand il passe dans la rue, j’en ai la chair de poule et des frissons partout. C’est vrai qu’il est sexy, comme dit ma nièce, la petite dinde !

Mais le tour est joué, l’élection a eu lieu : il a jeté son dévolu sur une petite poulette. Toutefois, la gamine, jeune et fraîche, encore naïve, est bien gardée par son père qui se méfie des coquins.

Celui-là connaît bien les travers masculins, car il tient le bistrot qui sert des plats du jour sur la place du bourg ; il entend bien des discours, des blagues et vantardises sur les conquêtes prétendues de ces messieurs !

Ainsi averti, depuis son veuvage véritable mère-poule pour cette fille unique, la seule qui l’aide au service pendant qu’il œuvre à la cuisine, il la surveille comme le lait sur le feu.

Hélas ! Le cœur a ses raisons et les filles amoureuses leurs ruses ; la rencontre s’est faite à l’insu du père ; la petite a succombé. Fière et tendre à la fois elle roucoule à cœur fendre dés qu’en cachette du père elle retrouve son Cupidon.

Mais voilà, le désir assouvi, le sel de la conquête disparu, la proie devient vite insipide et sans intérêt pour le séducteur. Elle est abandonnée, tant pis si elle y laisse des plumes !

Astiquant les ergots de ses santiags, notre coq de village est reparti à la chasse ! Beaucoup de jeunes oiselles ont été ainsi cueillies et délaissées sans honte. Parmi celles qui pleurent aujourd’hui, la petite poulette du Café de la Place est celle qui souffre le plus de son amour sali. Elle a perdu le goût de rire, de marcher sous les arbres, de chanter avec nous. Elle demeure prostrée au fond de sa coquille, dépose les assiettes sans desserrer les dents, fermée comme une huître qui a perdu sa perle.

Son père, le maître-coq a beau la raisonner, la cajoler, la houspiller, rien ne la fait sortir de sa désespérance.

Alors il est venu me trouver.

De derrière mon rideau, j’avais tout vu et tout prévu.

Nous sommes de vieilles connaissances, maître-coq et moi. Depuis l’enfance dans les mêmes rues, les mêmes chemins buissonniers parfois, nous avons partagé bien des rires et des complicités avant qu’il ne rencontre sa dulcinée rapatriée d’un pays ensoleillé et qu’il fasse sa route d’adulte avec elle. Et sur cette route trop courte, la petite Colombe, leur fille qui aujourd’hui souffre et ne veut plus vivre.

Moi depuis, la vie m’a appris bien des alchimies ; ma mère un peu sorcière, puis le hasard des rencontres, les voyages et l’aventure du métier ont enrichi un regard aiguisé sur les heurs et malheurs des gens. Alors, à présent que je suis revenue au pays, certains viennent chercher conseil.

Devant mon vieux compagnon d’enfance, j’ai déjà une idée : la solution que je lui expose, soigner le mâle par le mâle. Il croit avoir mal entendu et me fait répéter mais je mets bien l’accent sur les a et les points sur les i : nous allons guérir le coq en lui envoyant une coquette et donner à Colombe du grain à moudre, ajoutant néanmoins que seul le temps adoucit les blessures.

Il a à peine tourné le dos revigoré par l’exposé de ma stratégie, que je prends ma plume.

Dans l’heure qui suit, la première étape du plan est en marche, la missive est partie. L’e-mail ou le téléphone pourraient paraître à certains plus efficaces dans leur célérité, mais je l’ai dit, le temps est un allié. Pour Colombe qui souffre, chaque jour fait son travail de voile et tamise la douleur.

Il faudra bien quinze jours à la deuxième étape pour se mettre en place.

L’été est arrivé et de nouveaux personnages commencent à battre notre campagne. Dans la maison à l’entrée du bourg, ce matin les volets se sont ouverts. Dans la nuit, une voiture avait débarqué et on aurait pu apercevoir deux silhouettes bien dépareillées : la première petite et sautillante, avec une couronne de cheveux frisées, l’autre longue et un peu voûtée marchant comme encombrée.

Dés le lendemain, on voit le couple de plus près au Café de la Place où ils prennent leur second quartier. La fille, belle rousse qui n’a pas ses yeux verts ni sa langue dans sa poche, explique qu’ils sont là vraiment pour se reposer ; son frère Pierre s’est fait salement amocher pour avoir voulu arracher les affiches de ce qu’il appelle une publicité mensongère. Coquard à l’œil arc-en-ciel, jambe dans le plâtre et contusions diverses, il laisse sa sœur caqueter et, le nez en l’air, songeur, un peu triste, se tait.

Rapidement la fille est remarquée, les hommes très empressés ; chacun se propose de lui faire découvrir la contrée puisque son frère est empêché. Coquette, elle les laisse approcher mais seule semble bien se débrouiller.

Pendant que sa sœur arpente nos sentiers balisés, Pierre s’installe en terrasse au Café de la Place. Fatigué du chemin de croix en béquille, sans force, un livre dans les mains, il laisse ses regards dériver sur les passants ou suit dans le ciel les nuages.

Colombe de loin l’observe mais ne se décide pas à prendre la commande ; elle se sent comme en harmonie avec ce mélancolique et aimerait lui demander les raisons de sa tristesse ; elle est sûre qu’il a connu comme elle le goût amer d’un amour détruit ; elle est attendrie et voudrait bien l’aider quand le livre tombe et qu’il ne peut le récupérer sous la table voisine. Elle se précipite et a vite réparé l’incident. Elle lui tend l’objet qu’il prend en remerciant gentiment ; sa voix tranquille la réchauffe.

Pendant ce temps, notre coq n’est pas inactif : il a pris intérêt tout à coup pour la randonnée et ses tentatives d’abordage de la nouvelle venue se multiplient. Leurs chemins se sont croisés, elle ne semble pas le voir. Elle marche tête levée ou s’arrête pour admirer. Il la suit sans réussir jamais à l’accoster.

Le soir, elle rejoint Pierre au Café. Après une heure d’approches, comme un coq habitué à cette basse-cour, il parvient à s’immiscer dans le petit groupe formé autour des nouveaux vacanciers. Par le biais du frère, il aspire à occuper le terrain ; il entre dans la danse en habitué du verbe et des bons mots. La jeune Capucine – il vient au moins de saisir son prénom – l’ignore de plus belle ou pouffe de rire parfois, comme s’il avait produit une incongruité. Son manège pour autant ne passe pas inaperçu et ses compères d’autrefois commencent à le railler, quant à Colombe encore meurtrie elle se sent un peu vengée.

Les semaines ont passé. Cependant la belle rousse malgré toutes les avances du tombeur n’a rien cédé. Pourtant elle semble bien s’amuser chaque fois qu’un bal ou un spectacle est donné ; lorsque la chorale a chanté aux côtés de Colombine elle a vocalisé. Il en a eu le cœur tout chaviré et - foi de séducteur - jamais rien de tout cela il n’avait éprouvé.

Et le jour du grand bal est arrivé. Tous les gens du village sont rassemblés, des plus jeunes aux anciens, tout le monde veut y assister. Cet évènement, régal des yeux et des oreilles, me pousse dehors ce jour-là chaque année. Ce sera la dernière étape de notre plan qui jusque là ne s’est pas mal déroulé : le coquelet devient moins fringuant, il a perdu sa superbe et ne court plus de toute part en collectionneur de jupons. Il paraîtrait même un peu tristounet. L’objet unique de son désir le rend aveugle aux autres demoiselles.

La musique fait virevolter les couples. Il regarde Capucine évoluer dans des bras successifs, il n’a pas encore réussi à l’inviter. Celles qui lui tournent autour n’ont plus aucun succès. Bientôt une farandole s’égrène sur la place. Il ébauche une approche comme une dernière carte ; sa manœuvre est entravée. Un essaim avide de prétendants se bouscule devant la belle. La convoitise se lit sur les visages, la coquette a peut-être été un peu loin.

Il ne sait plus sur quel pied danser. Je vois sur son visage un sentiment nouveau : la détresse.

A l’écart, Pierre observe le jeu de sa sœur et se tourne vers Colombe. Elle s’affaire entre les tables, glissant avec grâce le plateau en équilibre sur ses doigts agiles ; elle n’a pas le temps de prêter attention aux déboires du coq.

Quand ce dernier le rejoint à sa table, il comprend que les confidences ne vont pas tarder. Le coq, dans un vocabulaire encore trop étranger pour lui, avoue son amour pour Capucine et sa peine. Pierre est complice du petit jeu que sa sœur comédienne m’aide à mettre en scène pour venger Colombe et donner une leçon au coq. Pourtant il se sent attendri. Il ne trahit rien et regardant au loin Colombe répond qu’il compatit, puis, se faisant violence, ajoute que les sentiments ne se décrètent pas.

Alors Désiré – il vient comme un aveu de plus de se présenter à Pierre – se dirige vers le bar où il finira la soirée. Le maître-coq le fera raccompagner quand les flonflons auront cessé.

Les lumières de la fête éteintes, les derniers noctambules dispersés, le rideau est tiré.

Maintenant nous sommes quatre autour de la table dans mon jardin, au frais. Pierre et Capucine, le maître-coq et moi. Demain, Capucine reprendra la route pour aller rejoindre sa troupe. Pierre pense rester, Colombe lui a proposé de l’assister, tous deux se sentent ensemble si apaisés. Nous levons nos verres au succès de notre comédie. Nous portons un toast au malheureux coq amoureux éconduit. Les sentiments de Capucine sont un peu nuancés. Elle est sans cruauté et a senti de près l’émoi naissant de Désiré. En pensant à Colombe elle a tenu bon.

C’est Julien le maître-coq qui a le dernier mot, père poule certes mais professionnel avant tout : « On ne fait pas d’omelette sans casser d’œufs ! »

Les deux coqs. Merci Françoise C.

Ce soir là, je m’étais attardée au petit café « le panier d’Alice »à La Coque Guenand. J’ai surpris une conversation entre deux coqs accoudés au comptoir du bar. L’un d’eux, celui qui se prénomme Norbert s’exprime sur un ton d’emphase comique qui me fait tendre l’oreille. Norbert est quinquagénaire, l’autre le plus jeune, c’est Ambroise, il semble tourmenté. Norbert, tête en arrière, jabot renflé fait bouffer ses plumes

N : Alors p’tit gars, rassure moi, t’es pas dans ton assiette.Tu ne doutes pas de ta virilité au moins ? Dis moi donc ce que tu as sur le jabot !

A : J’ai des doutes.

N : Un coq, ça ne doute pas, ça chante, ça bouffe et ça …

A : J’ai honte, je crois que je suis en train de devenir monogame.

N : T'es pas amoureux d’une pendule au moins comme Claude Nougaro ?

A : Je suis amoureux, oui, mais pas d’une pendule !

N : Mon pauvre vieux mais de qui, enfin de qui es tu tombé amoureux ?

A : De Ginette, la petite poule blanche, si jolie, si fine, si délicate !

N : J'vois pas !

A :Tu sais , celle qui passe des heures à sa toilette .Elle ne marche jamais dans les flaques, ne mange pas trop, choisit son herbe, ses vers de terre, ne bouffe que du bio, fait sa gymnastique quotidienne, ne boit que de l’eau claire .Elle a le mollet si fin, les ergots soigneusement limés, la plume douce et légère …

N : Une coquette quoi !

A : Je l’aime, on va quitter le poulailler, on va partir tous les deux

N : Si je comprends bien vous coquetez tous les deux ! Je ne vois pas qui c’est ta Ginette, j’ai pas dû m’occuper d’elle !

A : Elle n’a jamais eu de poussins .Elle a couvé en vain deux années de suite !

N : Justement, c’est bien ce que je dis, j’ai pas dû m’en occuper de celle là, je l’ai pas pratiquée quoi ! Pourtant je fais feu de tout bois comme on dit.

Et Norbert de bomber le torse, tout en frappant amicalement l’aile d’Ambroise.

A : Je sais, elle n’a eu que moi, et justement ma semence ne vaut rien ... J’ai des doutes, raison de plus pour partir à l’aventure, on fera pas d’orphelins.

N : Tu prétends tout de même pas courir les chemins comme un vagabond .Et le grain ? Qui te donnera ta pitance quotidienne ?

A : Oh toi ! Tu penses qu’à bouffer, on se débrouillera Ginette et moi !

N : Tu vas quand même pas faire comme Gertrude, cette pauvre poule rousse une frigide …Elle est partie un soir au coucher du soleil sans me dire au revoir .Elle a dit à une copine qui me l’a rapporté qu’elle en avait assez de mes assauts Elle est partie en disant « Tant pis pour le renard, je me tire de là »

A l’heure qu’il est, elle doit être bouffée

A : Nous, Ginette et moi, on s’entraîne à voler, paraît que le France est belle vue d’en haut !

C’est vrai qu’Ambroise fait un régime, ça se voit, il a la plume terne et le jabot tout raplati. Il dit : Si on veut voler, faut pas être lourd, tu comprends ?

N : Tu deviens fou !

Norbert , lui, est un coq bien nourri , ardent , toujours en belle forme , en toute saison qu’il pleuve, qu’il vente ou qu’il gèle et même par les chaleurs caniculaires, il est toujours le premier à entonner le cocorico matinal :

A : Toi tu comprends, tu as une grande famille !

N : C’est vrai, j’ai dans les quatre-vingt –dix gamins, enfin je veux dire poussins au dernier recensement. Rien ne vaut la sécurité du foyer, pardon je veux dire du poulailler ! Tu verras, tu reviendras, enfin si tu as cette chance car des dangers, il y en a ! : Les autos, les chasseurs, les chiens, les renards et j’en oublie !

A : Toi, tu crois à ta sécurité, tant mieux mais sais tu qu’en Allemagne le coq peut être sacrifié dans certains rites de mariage pour assurer aux époux une vie féconde, tu le sais ça ?

N : Bah ! Et puis je ne vois pas de mariage à l’horizon et on n’est pas en Allemagne que je sache ! Tu lis trop, tes lectures te tournent la tête, moi, je suis philosophe et j’ai ma dignité, moi, je chante même si, comme disait Cocoluche, je suis le seul oiseau qui chante les pieds dans la merde, moi, je l’aime mon fumier !

A : Oui, mais je te répète que : manger les testicules d’un bon coq, surtout s’il est vigoureux comme toi, c’est un remède contre la stérilité : As tu remarqué que la fermière n’a toujours pas d’enfants au bout de quatre années de mariage ?

N : Même pas peur, fiche moi pas le cafard. Allez on y va !

L’aube était proche, la nuit serait courte mais comme disent les vieux coqs ; elle porte conseil ;

Et nos deux gaillards, aile dans l’aile rejoignirent le poulailler au pas de sénateur en titubant un peu quand même à cause des excès d’alcool de pépins de pommes, la crête tombante et le mollet mou .

F. C. Février 2011

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